Internet, l’omniprésent absent

Martin Delacoux

Sony. NSA. Wikileaks. Trois mots qui ont marqué les deux mandats d’Obama. Tout comme les noms de Bradley Manning, d’Edward Snowden, ou de Julian Assange, trois lanceurs d’alerte qui ont maille à partir avec les Etats-Unis. Tous ces noms ont un point commun : Internet.

Internet, c’est les réseaux sociaux, Facebook, Snapchat ou Instagram, auquel les Américains sont en permanence vissés. Internet, c’est les ordinateurs et les smartphones, sur lequel on travaille, s’amuse, et parle avec nos proches. Internet, c’est devenu notre album photo et notre tiroir à souvenirs, notre coffre fort où l’on cache nos objets précieux, nos secrets inavouables. Photos de nous, carnets d’adresse ou mots de passe, tout arrive un jour sur Internet.

Les impôts et la santé, les cours universitaires ou la carte du métro, tous les services sont maintenant sur ce réseau mondialisé. Parfois, des services essentiels à un pays en dépendent. Et pourtant, Hillary Clinton, Ben Carson et les autres restent muets à ce sujet. À peine évoquent-ils Edward Snowden, en se demandant s’ils accepteraient qu’il revienne aux États-Unis une fois élu.

Cette méfiance des politiques envers les lanceurs d’alerte ne se retrouve pas forcément dans la population. Les personnes que nous avons pu interviewer à New York et qui connaissaient le nom d’Edward Snowden pensent qu’il a agit pour le bien des américains. On est loin des accusations d’espionnage auxquelles l’ex-analyste de la NSA fait face.

Entre l’attitude des États-Unis face à ses lanceurs d’alerte, la difficulté de communiquer sur ces enjeux et la sacro-sainte sûreté nationale, Internet a la vie dure un an avant les élections présidentielles.

La cybersécurité reléguée au second plan dans le débat politique

Dominique Lelièvre

Edward Snowden, traitre ou héro ? Aux États-Unis, les révélations sur l’existence de programmes de surveillance de masse ont enfin permis d’ouvrir un débat dans l’espace public au sujet des nombreux enjeux reliés au Web. Mais cette discussion n’a pas encore débouché sur les questions de fond. Elle peine aussi à se transposer dans le débat politique.

« Ça ne s’explique pas dans un clip de 30 secondes. C’est le plus grand problème » avance Jonathan Askin, professeur à la Brooklyn Law School qui se spécialise dans les questions juridiques reliées aux technologies.

Les questions de cybersécurité ont à peine été effleurées par les candidats dans la course à la présidence de 2016. Le plus souvent, les discussions se sont limitées au sort qui devrait être réservé au lanceur d’alerte Edward Snowden.

L’économie, la santé ou la lutte au terrorisme continuent de dominer la scène politique, lorsqu’il ne s’agit pas de la dernière frasque d’un candidat à la présidence. Aux yeux des politiciens américains, la cybersécurité serait-elle trop complexe ou trop éloignée du citoyen lambda ?

« C’est peut-être ce que pensent les candidats dans les primaires américaines, mais je crois qu’ultimement, ce n’est pas le cas » répond Drew Mitnick, conseiller en politiques publiques pour l’organisme Access Now, qui milite pour un internet libre et ouvert. Selon lui, la cybersécurité évoque des « questions fondamentales » qui méritent d’être discutées.

Ce que les candidats à la présidence pensent d’Edward Snowden

Dominique Lelièvre

Cinq paires d’yeux bien mystérieux

Martin Delacoux

Avez-vous entendu parler des Five Eyes ? Cinq pays, autant d’agences de renseignements, unis dans une alliance de surveillance gloval. Edward Snowden, le lanceur d’alerte à l’origine des révélations sur les écoutes de la NSA, décrit cette alliance des Etats-Unis, du Canada, du Royaume-Uni, de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie comme une « organisation de renseignement supra-nationale qui ne répond pas aux lois de ses propres pays membres. »

Drew Mitnick, de l’association Access Now, une association qui défend le droit des internautes à travers le monde, explique en quoi consiste les Five Eyes.

Nés au lendemain de la Seconde guerre mondiale, les Five Eyes ont tenu jusqu’à aujourd’hui. L’alliance entre les cinq pays, et particulièrement entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis, est tellement forte qu’il est parfois «  très difficile de savoir qui fait quoi » selon un ancien espion britannique cité par le Japan Times ici.

Cette alliance pourrait permettre d’outrepasser certaines lois des pays membres. La NSA, l’agence de surveillance américaine, n’a pas le droit de mener toutes les opérations d’espionnage aux Etats-unis par exemple. Mais pourquoi ne pas profiter du voisin canadien, ou de l’ami britannique, pour passer outre cette interdiction ? En d’autres mots, pourquoi ne pas demander aux alliés d’espionner les citoyens américains pour son propre compte ? La NSA jure qu’il n’en est rien. Mais cette possibilité pose question et inquiète en Amérique.

Espionne pour moi et je ne t’espionnerai pas

Autre cas de figure : l’espionnage d’un pays tiers pour un pays des Five Eyes. Prenons la Nouvelle-Zélande. Selon un article du Guardian, les services secrets néo-zélandais espionneraient les pays insulaires du Pacifique pour le compte des Etats-Unis. Sans pour autant qu’il y ait une menace particulière pour le pays, selon Andrew Little, le chef de l’opposition.

Mais les révélations du journal britannique ont été vivement critiquées et contestées par le gouvernement néo-zélandais. Il faut dire que les statuts de cette alliance restent flous : on ne connait pas précisément les attributions des agences de renseignement de chaque pays. Un manque de clarté qui peut permettre tous les débordements.

Cette relation privilégiée entre ces cinq pays anglophones donne quelques privilèges. Comme celui de ne pas avoir le droit d’être espionné par la NSA. Cela ne veut pas dire que la NSA espionne tous les autres pays. Mais elle a le droit de le faire, selon un liste que s’est procuré le Washington Post, que vous pouvez consulter ici. Le Canada, la Nouvelle-Zélande, l’Australie et le Royaume-Uni sont les seuls pays a ne pas y figurer.

Alors, les Québécois et les Canadiens sont-ils moins surveillés que le reste de la planète ? Pas du tout. La seule différence, c’est que ce sont les services de renseignement canadiens qui s’en chargent. Le CSTC, le Centre de la sécurité des télécommunications Canada, ou CSEC dans son appellation anglophone. Une agence qui a vu les fonds qui lui sont alloués presque doubler cette année, passant de 444 millions de $ à 823 millions avec l’ouverture du nouveau siège de l’agence à Ottawa.

Piratage des entreprises américaines : stopper l’hémorragie

Dominique Lelièvre

Le piratage de Sony Pictures Entertainment a marqué les esprits. C’est l’une des pires attaques informatiques jamais subies par une société américaine. Des milliers de gigaoctets de fichiers confidentiels disséminés sur le Web. Des données confidentielles sur les employés et des films non parus ont notamment été récupérés.

La sortie du film The Interview est même annulée dans les salles de cinéma en raison des menaces proférées par les pirates informatiques. L’attaque est attribuée par le FBI à la Corée du Nord, mais des doutes subsistent sur sa véritable origine, certains suggérant que cela pourrait être l’œuvre de pirates russes ou même d’employés de Sony.

Le gouvernement américain a depuis longtemps compris que le cyberespace représentait une menace pour son économie et sa sécurité. En juin 2015, une nouvelle attaque contre des serveurs fédéraux vient rappeler la vulnérabilité de l’infrastructure américaine lorsque des pirates se sont emparés des données personnelles de 21 millions d’Américains.

Pour les autorités américaines, il fallait stopper l’hémorragie. Le 28 octobre 2015, le Sénat américain adopte le controversé projet de loi CISA (pour Cybersecurity Information Sharing Act, « loi sur le partage d’information de sécurité informatique »).

Le texte prévoit un soutien technologique et légal du gouvernement aux entreprises victimes de cyberattaques. Mais elle a tôt fait de susciter des inquiétudes sur la protection des libertés civiles. C’est qu’en contrepartie, les entreprises bénéficiant de ce programme devront partager les données de leurs utilisateurs au ministère de l’Intérieur américain.

« Une claire violation de la constitution »

Pour Jonathan Askin, l’utilisation des entreprises par le gouvernement américain pour accéder aux données des utilisateurs représente « la partie la plus effrayante » et « une claire violation de la constitution ».

Safe Harbor, le désaveu des Européens

Safe Harbor, c’est cet accord qui autorisait le transfert de données sur les internautes européens vers les États-Unis, où sont basées d’importantes entreprises technologiques. Le 6 octobre 2015, il est invalidé par la Cour de justice de l’Union européenne sous prétexte que les États-Unis n’offrent pas un niveau de protection suffisant. Les juges évoquent sans détour la possibilité que des données soient remises aux agences de renseignements américains.

Le jugement complique considérablement les opérations des entreprises américaines œuvrant en Europe. Souffriraient-elles des politiques de surveillance de leur gouvernement ?

Drew Mitnick, conseiller en politiques publiques pour Access Now, croit que ce jugement fait mal aux entreprises américaines et que cela pourrait inciter le gouvernement à entreprendre des réformes.

Lanceurs d’alerte et retour de bâton

Martin Delacoux

Piètre score des Etats-Unis. Cette année, ils sont 49ème au classement de la liberté de la presse de Reporters sans frontières. Pour le pays du premier amendement, qui proclame la liberté de la presse, cela fait tâche.

Comme le dit Delphine Halgand, directrice de Reporters sans frontières en Amérique du Nord, cela pose un problème d’exemplarité. Alors que les Etats-Unis promeuvent des valeurs de démocratie, comment justifier ces manquements contre la « liberté de l’information qui est notre liberté à tous de pouvoir vérifier l’existence de toutes les autres libertés » ? Que des régimes autoritaires, voire dictatoriaux, prennent pour exemple les Etats-Unis dans ce cas pose un vrai problème d’image pour la première puissance mondiale.

La protection des lanceurs d’alerte est un enjeu fondamental selon Delphine Halgand. D’autant plus que les whisteblowers les plus connus veulent seulement mettre à jour les problèmes qui gangrènent la société. Edward Snowden, par exemple, semble d’une pureté absolu dans ces intentions, comme le montre le film documentaire de Laura Poitras Citizenfour. Ceux qui veulent le discréditer ont bien du mal à trouver quelque chose à se mettre sous la dent.

La question des lanceurs d’alerte revient à se poser la question de la protection des sources des journalistes. Celle des sources revient à arbitrer entre deux choix : celui de plus de démocratie, et celui qui donnerait plus de sécurité. Pour l’instant, le gouvernement américain choisit en permanence la deuxième solution. Un paradoxe pour le pays qui se revendique être la nation des libertés.